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Le « sharenting » : quand le partage devient un danger pour nos enfants

Dans l’ère du tout-numérique, les parents doivent repenser leur approche du partage de photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Entre risques légaux, menaces à la vie privée et conséquences à long terme, le « sharenting » soulève de sérieuses inquiétudes.

Un sourire radieux lors d’un anniversaire, les premiers pas à la plage, une grimace devant un plat de légumes… Autant de moments précieux que les parents sont tentés de partager sur les réseaux sociaux. Pourtant, derrière ces publications en apparence inoffensives se cache une réalité bien plus sombre : le « sharenting », contraction de « share » (partager) et « parenting » (parentalité), pourrait mettre en danger la sécurité et l’avenir de nos enfants.

L’illusion du contrôle dans un monde numérique vorace

« Une fois qu’une photo est en ligne, c’est comme si elle appartenait au monde entier », explique Sarah Levin, avocate spécialisée en droit du numérique. Cette réalité, de nombreux parents l’ignorent encore. Ils pensent naïvement que leurs publications resteront confinées à leur cercle d’amis, sans réaliser l’ampleur de la diffusion potentielle.

Prenons l’exemple de Marie, 35 ans, mère de deux enfants. « J’ai toujours pensé que mes paramètres de confidentialité me protégeaient », confie-t-elle. « Jusqu’au jour où j’ai découvert que la photo de ma fille à la piscine municipale avait été utilisée dans une publicité pour maillots de bain à l’autre bout du monde. J’étais horrifiée. »

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Selon une étude menée par l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), 62% des parents français partagent régulièrement des photos de leurs enfants en ligne, souvent sans réfléchir aux conséquences potentielles.

Des risques multiples, du harcèlement au vol d’identité

Les dangers du « sharenting » sont multiples et parfois insoupçonnés. Au-delà de l’utilisation non autorisée des images, c’est la sécurité même des enfants qui peut être compromise.

Le spectre du harcèlement numérique

« Les photos partagées aujourd’hui peuvent devenir les armes du harcèlement de demain », prévient le psychologue Paul Mercier. Il cite le cas d’un adolescent de 14 ans, victime de moqueries incessantes après que ses camarades aient découvert des photos embarrassantes de son enfance, partagées des années auparavant par ses parents.

L’ombre du pédocriminel

Plus inquiétant encore, ces images peuvent tomber entre les mains de prédateurs. « Les réseaux pédocriminels sont à l’affût de la moindre information », alerte le commissaire Jean Dupont, de la brigade de protection des mineurs. « Une photo d’anniversaire peut révéler l’âge, le prénom, voire l’école d’un enfant. C’est une mine d’or pour les malfaiteurs. »

Le vol d’identité, un risque sous-estimé

Enfin, n’oublions pas le risque croissant de vol d’identité. « Les enfants sont des cibles de choix pour les fraudeurs », explique Marc Lambert, expert en cybersécurité. « Leur identité numérique est vierge, ce qui permet aux criminels de l’exploiter pendant des années avant que la fraude ne soit découverte. »

Un cadre légal en évolution, mais encore insuffisant

Face à ces dangers, le législateur tente de s’adapter. En France, la loi sur la protection des données personnelles impose désormais le consentement des mineurs de plus de 15 ans pour la publication de leurs photos. Pour les plus jeunes, ce sont les parents qui sont responsables.

Maître Claire Dubois, avocate spécialisée en droit de l’image, nuance cependant : « La loi pose un cadre, mais son application reste complexe. Comment prouver qu’un enfant de 15 ans a réellement consenti ? Et quid des conflits entre parents séparés sur la publication des photos de leurs enfants ? »

Ces questions juridiques sont loin d’être anecdotiques. En 2022, un tribunal de Bogota a fait jurisprudence en ordonnant à une mère de supprimer toutes les photos de son fils qu’elle avait publiées sur les réseaux sociaux sans son consentement. Une décision qui pourrait faire tache d’huile dans d’autres pays.

Vers une prise de conscience collective ?

Face à ces enjeux, une prise de conscience s’amorce. Des initiatives comme la campagne #PensezAvantDePublier, lancée par l’UNICEF, visent à sensibiliser les parents aux risques du « sharenting ».

Certaines personnalités montrent également l’exemple. L’actrice Emma Watson a ainsi déclaré : « Je refuse catégoriquement de partager des photos de mes enfants en ligne. Leur vie privée n’est pas à vendre, même pour satisfaire la curiosité de mes fans. »

Comment partager responsablement ?

Faut-il pour autant renoncer totalement à partager des moments de vie en famille ? Pas nécessairement, selon les experts. Voici quelques conseils pour un partage plus responsable :

  1. Limitez le cercle de diffusion : Utilisez les paramètres de confidentialité pour restreindre l’accès à vos publications.
  2. Évitez les détails identifiants : Ne mentionnez pas les noms complets, les dates de naissance ou les lieux précis.
  3. Privilégiez les photos de dos ou floues : Elles permettent de partager un moment sans exposer clairement l’identité de l’enfant.
  4. Demandez l’avis de votre enfant : Dès qu’il est en âge de comprendre, impliquez-le dans la décision de partager ou non une photo.
  5. Réfléchissez à long terme : Posez-vous la question : « Mon enfant sera-t-il content de voir cette photo dans 10 ans ? »

Une responsabilité parentale à l’ère numérique

En définitive, le « sharenting » nous rappelle que la parentalité à l’ère numérique implique de nouvelles responsabilités. Comme le résume la sociologue des médias, Dominique Cardon : « Publier une photo de son enfant, c’est prendre une décision qui aura un impact sur sa vie numérique future. C’est une forme de pouvoir qu’il faut exercer avec la plus grande prudence. »

À l’heure où le monde virtuel et le monde réel s’entremêlent de plus en plus, protéger l’identité numérique de nos enfants devient aussi important que veiller à leur sécurité physique. Le défi pour les parents du XXIe siècle est de trouver le juste équilibre entre le désir de partage et le devoir de protection.

Cet article a été réalisé avec la contribution d’experts en droit du numérique, en psychologie de l’enfant et en cybersécurité. Pour plus d’informations sur la protection des mineurs en ligne, consultez le site de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés).

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