Des physiciens de l’université d’Aalto, en Finlande, ont créé un nouveau matériau ultrafin à deux couches présentant des propriétés quantiques qui nécessitent normalement des composés de terres rares.
Ce matériau, qui est relativement facile à fabriquer et ne contient pas de terres rares, pourrait constituer une nouvelle plate-forme pour l’informatique quantique et faire progresser la recherche sur la supraconductivité non conventionnelle et la criticité quantique.
Les chercheurs ont démontré qu’un état quantique de la matière radicalement nouveau peut émerger de matériaux apparemment ordinaires. Cette découverte découle de leurs efforts pour créer un liquide de spin quantique qu’ils pourraient utiliser pour étudier les phénomènes quantiques émergents tels que la théorie de jauge. Il s’agit de fabriquer une seule couche de disulfure de tantale atomiquement mince, mais le procédé permet également de créer des îlots composés de deux couches.
Lorsque l’équipe a examiné ces îles, elle a constaté que les interactions entre les deux couches induisaient un phénomène connu sous le nom d’effet Kondo, conduisant à un état de matière macroscopiquement enchevêtré qui produisait un système de fermions lourds.
L’effet Kondo est une interaction entre les impuretés magnétiques et les électrons qui fait varier la résistance électrique d’un matériau en fonction de la température. Les électrons se comportent donc comme s’ils avaient plus de masse, c’est pourquoi ces composés sont appelés matériaux à fermions lourds. Ce phénomène est une caractéristique des matériaux contenant des éléments de terres rares.
Les matériaux à fermions lourds sont importants dans plusieurs domaines de la physique de pointe, notamment la recherche sur les matériaux quantiques. « L’étude des matériaux quantiques complexes est entravée par les propriétés des composés naturels. Notre objectif est de produire des matériaux artificiels de conception qui peuvent être facilement réglés et contrôlés de l’extérieur afin d’étendre la gamme des phénomènes exotiques réalisables en laboratoire », explique le professeur Peter Liljeroth dans un communiqué.
Par exemple, les matériaux à fermions lourds pourraient agir comme des supraconducteurs topologiques, ce qui pourrait être utile pour construire des qubits plus robustes au bruit et aux perturbations environnementales, réduisant ainsi les taux d’erreur des ordinateurs quantiques. « Il serait très utile de disposer d’un système de matériaux à base de fermions lourds pouvant être facilement incorporés dans des dispositifs électriques et réglés de l’extérieur pour réaliser ce genre de choses dans la vie réelle », explique Viliam Vano, doctorant dans le groupe de Liljeroth et auteur principal de l’article.
Bien que les deux couches du nouveau matériau soient constituées de sulfure de tantale, leurs propriétés présentent des différences subtiles mais importantes. Une couche se comporte comme un métal, conduisant les électrons, tandis que l’autre couche présente un changement structurel qui fait que les électrons sont situés dans un réseau régulier. La combinaison des deux aboutit à l’émergence de la physique des fermions lourds, qu’aucune des deux couches ne présente seule.
Ce nouveau matériau à fermions lourds offre également un outil puissant pour tester la criticité quantique. « Le matériau peut atteindre un point critique quantique lorsqu’il commence à passer d’un état quantique collectif à un autre, par exemple d’un aimant ordinaire à un matériau de fermions lourds enchevêtrés », explique le professeur José Lado. « Entre ces états, l’ensemble du système est critique, réagit fortement au moindre changement et constitue une plateforme idéale pour concevoir une matière quantique encore plus exotique. »
« À l’avenir, nous étudierons comment le système réagit à la rotation de chaque feuille par rapport à l’autre et nous essaierons de modifier le couplage entre les couches afin de faire évoluer le matériau vers un comportement critique sur le plan quantique », explique M. Liljeroth.