La migration et la reproduction des anguilles européennes restent un mystère. Mais grâce à une nouvelle étude, on en sait désormais beaucoup plus qu’avant.
Il est supposé que les anguilles migrent vers la mer des Sargasses, dans l’océan Atlantique, pour se reproduire. Cela fait plus d’un siècle que les scientifiques essaient de percer ce mystère de la migration et de la reproduction des anguilles sans y parvenir. Mais une nouvelle étude donne plusieurs éléments de réponse.
C’est dans la revue Science Advances qu’une étude européenne a été publiée. Comme il n’existe qu’une seule espèce d’anguille européenne, c’est une équipe européenne qui s’est mobilisée, de la Suède à la Méditerranée. C’est comme cela que 707 individus adultes ont été équipés d’un tag électronique pour suivre leur migration.
Leur migration au long cours, 5 000 à 10 000 km selon les rivières de départ du poisson, reste un mystère. C’est pour cela que des individus prêts à migrer des mers Baltique, Celtique et Méditerranée ont été équipés d’une balise. Cette étude a réussi à récupérer 206 balises, ce qui a permis de reconstituer la route migratoire pour 80 anguilles. Toutes se sont arrêtées aux Açores alors qu’il reste plusieurs milliers de kilomètres à parcourir…
Ce que cette étude a permis de découvrir, c’est qu’il existe des anguilles rapides et des anguilles lentes. Les comportements des géniteurs peuvent être très différents avec 5 % des reproducteurs qui arrivent sur les zones de reproduction en février, au moment du pic de naissance des leptocéphales, et 12 % juste après leur émergence. Ces individus, les plus rapides, sont capables de parcourir jusqu’à 52 kilomètres par jour. Par contre, 65 % des anguilles arrivent après la période de gestation. Certaines mettent même plus d’un an pour faire le voyage à un rythme de 3 kilomètres par jour. Le pic de naissance de février résulte donc des anguilles les plus rapides de l’année et des plus lentes de l’année précédente !
Ce constat permet de supposer qu’une migration longue et lente pourrait permettre de donner le temps à l’anguille d’achever sa maturité sexuelle dans le but de trouver plus facilement les lieux communs à l’accouplement. « Nous pensons que ces animaux font des compromis entre les dépenses d’énergie et les bénéfices qu’ils comptent en tirer », explique Eric Feunteun, l’un des auteurs de l’étude. « Ce que nous ignorons, c’est si ces comportements proviennent d’un héritage génétique ou autre, ou s’ils sont conditionnés par les conditions environnementales rencontrées dans la mer ».
Qu’elles soient suédoises ou méditerranéennes, les anguilles rallient invariablement les Açores. Cela signifie que les plus nordiques dédaignent par exemple la voie la plus courte. Tous les poissons ont également la même habitude, à savoir de nager en surface la nuit et en profondeur (entre 200 et 1 000 mètres) la journée.
Alors que la population d’anguilles a décliné de 95 % ces trente dernières années, cette étude devrait permettre de mieux comprendre cette espèce qui est désormais classée comme « en danger critique d’extinction ». Le déclin est principalement attribué à la surpêche. Une connaissance plus précise de ses habitudes migratoires et de reproduction pourrait aussi révéler d’autres problématiques, environnementales et climatiques notamment.
« Nous espérons que les progrès techniques nous permettront à l’avenir d’équiper les anguilles de balises de 10 grammes au lieu des 30 grammes actuels car il est possible que ce soit l’appareillage trop lourd qui empêche les individus équipés d’aller plus loin que les Açores », fait encore remarquer Eric Feunteun.