Cette journée du 2 décembre 2014 sera certainement historique pour l’Europe de l’espace vu qu’elle signifie le feu vert pour Ariane 6. Mais plus que cela, cette journée marque la réinvention d’Ariane.
Le 3 décembre 2013, le lanceur Falcon 9 de SpaceX a révolutionné le placement sur orbite commercial en réussissant son premier tir commercial. Ce n’est pas ce succès qui a bouleversé la donne, mais le fait le placement en orbite du satellite luxembourgeois SES-8 n’a couté que 50 millions de dollars alors qu’Ariane facture 80 millions de dollars. Face au visionnaire Elon Musk, l’Europe a dû réagir en adaptant ses prix.
Mais pire que ça, l’Europe se devait de réagir en profondeur, revoir toute sa stratégie sous peine de perdre tous ses marchés. C’est ainsi que Karim-Michel Sabbagh, le PDG de SES-Astra, cette entreprise luxembourgeoise qui est le premier opérateur mondial de satellites, mais aussi le premier client de SpaceX alors qu’elle a longtemps été le principal client d’Ariane, déclare : « Ariane doit changer le plus vite possible ! ». C’est ainsi qu’au printemps dernier, pour être certains que les gouvernements européens comprennent leur message, les sept principaux clients d’Ariane ont écrit une lettre commune pour annoncer l’échec commercial du projet de l’ESA !
Le message a été entendu de Jean-Jacques Dordain, le directeur général de l’ESA. En juin dernier, il décide de jeter à la poubelle dix ans de travail en déclarant : « Notre projet d’Ariane 6, accepté par les gouvernements européens en novembre 2012, ne correspondait plus au nouveau marché ». Il a parfaitement raison vu que son projet prévoit de lancer de gros satellites pour 70 millions d’euros par tir… alors que la clientèle s’est désormais habituée à la capacité réduite du Falcon 9 et à son tarif plus bas.
En réaction à cette menace américaine, François Auque et Jean-Lin Fournereaux, les directeurs d’Airbus Defence and Space et de Safran Espace, ont décidé, dans le plus grand secret, de mettre en commun leurs compétences dans le but de trouver la meilleure manière de réduire les coûts. Ils ont fondé une nouvelle société, qui réunira d’abord 450 salariés dès le 1er décembre, puis l’ensemble de leurs personnels en 2016.
S’appuyant sur des technologies éprouvées par Ariane 5 et Vega, ils conçoivent une Ariane 6 « low-cost ». « On peut arriver à des tirs qui coûteront 70 ou 90 millions d’euros pour mettre en orbite deux satellites, alors que chaque vol d’Ariane 5 revient à 170 millions », calcule Arianespace.
Pour que ce projet avance, François Auque demande à la ministre Geneviève Fioraso que la majorité du capital d’Arianespace, la société qui commercialise les vols d’Ariane, lui revienne, ce qui va obliger l’État à lui vendre les 34% que le CNES détient dans la société, ce qui signifie la privatisation d’Ariane ! En cette période de restriction budgétaire, le fait que les industriels assument le risque commercial et les éventuels dépassements de budget est un plus, surtout qu’ils promettent même de renoncer aux 300 millions d’euros d’argent public européen qui subventionnent, chaque année, les lancements d’Ariane. Geneviève Fioraso tempère tout de même en précisant : « C’est une adaptation. L’État restera présent dans la gouvernance et contrôlera ».
Par un heureux concours de circonstance que veut que Laurent Fabius s’intéresse au sujet, que Christiane Taubira soit directement concernée en raison de la base spatiale de Kourou, que Manuel Valls se mobile parce que bureaux d’Arianespace sont implantés sur sa commune d’Evry, fait que le 16 juin, à l’Élysée, François Hollande a tranché en confiant à Airbus et Safran l’avenir d’Ariane.
Comme l’explique Stéphane Israël, le PDG d’Arianespace, qui attend encore de connaître sa place dans le dispositif, « L’union sacrée de cet été est un petit miracle ». Ce feu sacré a été entretenu ce mardi 2 décembre vu que le projet a reçu le feu vert officiel des autres pays européens.
Cette journée est donc à marquer d’une pierre blanche, car elle scelle la réinvention d’Ariane, lance Ariane 6, mais surtout maintient l’Europe sur les rails de la commercialisation de l’espace.