Au début des années 1990, Bruno Kowalscewski découvre l’entrée d’une grotte de la taille d’un terrier de lapin, en surplomb de l’Aveyron. Après l’avoir désobstruée, il tombe sur une vaste galerie. Son étude est confiée à François Rouzaud, conservateur en chef du patrimoine des Midi-Pyrénées. En 1992-1993, il procède au relevé de structures faites de stalagmites. Le carbone 14 donne une date de plus de 47 000 ans, aux limites de cette méthode de datation. À sa mort, la grotte se retrouve scellée pour la science. C’est en 2011 que Sophie Verheyden la visite. Découvrant les structures, elle comprend qu’il serait désormais possible de les dater. Une campagne de prélèvement organisée 2014 débouche sur une datation inouïe : 176 500 ans, à 1 000 ans près. Cette découverte indique que l’homme de Néandertal s’était approprié le monde souterrain bien avant l’Homo sapiens.
« Il y a quelques années, je n’aurais jamais cru que l’homme de Néandertal, que j’étudie depuis trente ans, en soit capable », commente Jacques Jaubert, professeur de préhistoire à l’université de Bordeaux et signataire d’une étude publiée dans la revue Nature. « Il y a 176 500 ans, l’homme de Néandertal a construit d’énigmatiques structures à plus de 300 mètres de l’entrée de la grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne). Il s’agit de la plus ancienne construction jamais découverte aussi loin de la lumière du jour ».
Alors que l’Homo neanderthalensis a vécu sur le continent européen entre -400 000 ans et -40 000 ans, il n’a laissé que peu de vestiges. Cela explique cette surprise des scientifiques. Le fait que l’homme de Néandertal s’était approprié le monde souterrain bien avant l’Homo sapiens est une autre surprise. « La découverte de Bruniquel apporte une perception différente de Néandertal : 140 000 ans avant Homo sapiens à Chauvet, il s’était déjà approprié le monde souterrain », souligne Jacques Jaubert.
Sur les 400 spéléofacts composant les structures circulaires, 18 points de chauffe sont dénombrés en raison d’éléments minéraux modifiés par le feu, probablement pour éclairer la scène. « Le feu est la preuve qu’il s’agit bien d’une fréquentation humaine », fait remarquer Dominique Genty, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS).
Maintenant, il va s’agir d’essayer de comprendre la fonction de ces structures. Il va s’agit d’un défi en raison du peu de connaissances que nous possédons actuellement des comportements des humains archaïques du Pléistocène. Pour l’heure, ils sont presque uniquement documentés par des outils de pierre et des restes de gibiers.
Cette découverte de Bruniquel va raviver les querelles au sujet de la modernité de l’homme de Néandertal, un débat entre ceux qui le voient comme un humain archaïque naturellement supplanté par l’homme moderne et les autres qui le considèrent comme son égal malchanceux. « Nous mettions en évidence que des Néandertaliens faisaient déjà ce que des Homo sapiens feraient plus tard », remarque Marylène Patou-Mathis. « Je pense depuis longtemps que les Néandertaliens avaient les mêmes capacités cognitives que les hommes modernes contemporains », estime de son côté le paléoanthropologue Bruno Maureille (CNRS Pacea Bordeaux).
Cette découverte donne surtout envie d’en faire d’autres. C’est pour cette raison que Jacques Joubert et ses collègues comptent bien retourner à Bruniquel pour y faire d’autres découvertes sous la gangue de calcite. Est-ce que d’autres trésors archéologiques seront ainsi révélés ?